Quelles sont, selon vous, les causes des affrontements violents qui ont eu lieu dans la Bande de Gaza et en Cisjordanie ?
Ilan Halevi :
"Deux facteurs principaux les expliquent : la perte de contrôle des appareils de sécurité, détruits par l’occupant, et l’émiettement du territoire.
Les enclaves ont favorisé la création de fiefs de féodalité politico-militaire locale, sans soutien national mais regroupés autour de chefs ambitieux. Maintenant, ces groupes rivaux s’affrontent afin d’obtenir le pouvoir. Et utilisent un discours démagogique contre la corruption parce qu’il fait recette dans la société. Cette crise, interne au Fatah, n’oppose pas la base et la direction, mais divers concurrents.
D’autre part, les rivalités sont exacerbées par l’ostracisme qu’Israéliens et Américains imposent à Yasser Arafat. Parce qu’il ne peut se mouvoir sur le terrain, le Président palestinien n’a plus qu’un pouvoir d’arbitrage.
Cette tension interne ne doit cependant pas faire oublier que l’occupation en est directement la cause. Et que l’occupant en a aussi la clef : si Israël se retire, il recrée l’espace nécessaire à un appareil central,
comprenant les organes de sécurité de l’Autorité et les forces politiques, en particulier le Fatah."
La vision occidentale, opposant réformistes et vieille garde, serait donc erronée...
IH : "Oui, parce qu’il y a un malentendu profond quant au terme de « réforme ».
Pour les Israéliens, la réforme signifie la destruction de l’Autorité palestinienne. Pour les Américains, elle correspond à la mise à l’écart de Yasser Arafat.
Quant aux Européens, ils entendent par là des réformes administratives, institutionnelles, financières et la centralisation des organes de sécurité.
Aucune de ces définitions ne coïncide avec celle de l’opinion palestinienne qui, quand elle parle de réforme, n’entend qu’une chose : la fin de la corruption. Un concept large qui englobe la corruption à proprement parler, mais aussi l’enrichissement personnel fût-il légal et, de manière plus large, les privilèges et l’inégalité sociale.
Les Palestiniens veulent « vider » les corrompus. Or, ceux qu’Israël et les États-Unis considèrent comme des alternatives à la direction palestinienne actuelle, et susceptibles de mener « leurs » réformes, sont aux yeux des Palestiniens le symbole même de la corruption."
Il semble également que les événements contredisent l’équation faite par nos médias entre les brigades des martyrs et Yasser Arafat...
IH : "Tout à fait. En réalité, les Brigades des Martyrs d’Al Aqsa ont été dès le début une manifestation de la perte de contrôle. Leur création, en 2001, par des membres du Fatah qui voulaient concurrencer le Hamas en utilisant les mêmes armes, était déjà une dissidence incontrôlée. La représentation d’Arafat comme chef des brigades est donc fausse.
Et cela nous renvoi à un autre quiproquo. Quand la communauté internationale veut réformer les organes sécuritaires pour y placer des responsables qui assureront la sécurité d’Israël, la base palestinienne souhaite la réforme des organes de sécurité pour y mettre à leur tête, non pas des corrompus enclins au compromis politique, mais des purs et durs qui vont continuer la lutte. C’est-à-dire l’exact opposé."